L’exception culturelle à la française
La question de l’exception culturelle est au centre de l’actualité suite aux déclarations de J. Manuel Barroso, le Président de la Commission européenne qui a qualifié de réactionnaire le comportement de la France qui a obtenu avec le soutien de treize autres Etats européens, le respect de l’exception culturelle et le retrait du secteur audiovisuel des négociations du Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP), entre les Etats- Unis et l’Union européenne. Ces négociations ont néanmoins engendré de larges débats en France, ravivant l’intérêt sur la fameuse exception culturelle française. Cette année marquait d’ailleurs le vingtième anniversaire de la reconnaissance de l’exception culturelle lors du Sommet de la Francophonie en 1993. La culture se définit comme « l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social et qu’elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, de façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances » (Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle de 2001). L’exception culturelle consiste pour les Etats à limiter le libre échange culturel, au nom de leur souveraineté pour soutenir et promouvoir ses propres artistes. Elle se comprend « comme l’exclusion de la culture de la sphère purement économique. Elle lui confère un caractère «singulier » par rapport à tous les autres biens et services » (http://www.senat.fr/rap/r00-213/r00-2137.html). L’exception culturelle française est une formulation qui se justifie seulement parce qu’il existe aussi une exception culturelle italienne, anglaise, américaine, chinoise. Chaque Etat dispose de sa propre culture. Ici, l’exception culturelle française s’entendra pour différencier la culture française des autres cultures. Sous la Cinquième République, la culture va occuper une place importante dans la vie politique du pays, avec la création en 1959 du Ministère de la culture. L’exception culturelle tend à être remplacée par le concept de diversité culturelle qui se veut beaucoup plus large en intégrant la promotion des identités nationales. Elle ne serait donc qu’un outil pour garantir cette diversité culturelle. Le concept d’exception culturelle peut s’interpréter de deux façons. Il peut être perçu comme une lutte contre la standardisation de la culture en faveur de la culture anglo-saxonne, mais aussi comme un moyen pour garantir la diversité régionale au niveau interne. Au-delà du débat politique, l’exception culturelle présente aussi un intérêt juridique, puisque la culture fait l’objet d’une protection et est mise en balance avec la libéralisation du marché mondial.
Afin de comprendre pourquoi il y a un tel attachement au concept d’exception culturelle, il conviendra d’analyser comment le concept d’exception culturelle est appréhendé en droit international, et comment il est appliqué en droit français.
L’exception culturelle se retrouve surtout dans le droit du commerce international, même si elle ne dispose pas d’un véritable statut juridique. L’Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce (GATT) de 1947, a pour objectif la réglementation du commerce international et assurer la libéralisation des échanges. Il prévoit en son article 4 la possibilité peur les Etats de protéger les nouvelles industries du cinéma en appliquant des quotas. Cet article est avant tout une réaction des Etats pour se protéger du cinéma américain qui commençait à s’imposer au niveau mondial. Cet article a été étendu aux séries télévisées. Les Etats Unis ont considéré que cette extension aux séries télévisées était une discrimination. Le GATT sera complété lors du Cycle de l’Uruguay par le Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) et l’accord sur les Aspects des Droits de propriété Intellectuelle (ADPIC) qui garantit la libéralisation du marché international des services dont l’audiovisuel et donnera lieu aux premières crispations entre l’Union européenne dont la France en particulier et les Etats- Unis. En effet, pour la première fois, les questions de propriété intellectuelle vont être intégrées dans le commerce international. Les Etats- Unis ont davantage une vision mercantile de la culture, considérant qu’il s’agit d’une marchandise, alors que la France considère la culture comme le vecteur d’une identité et la preuve d’une diversité créatrice. C’est le début de la reconnaissance d’une exception culturelle à la française qui voit dans la libéralisation des services un risque d’une totale remise en cause de sa politique culturelle.
D’autres institutions ont aussi cherché à combiner libre échange et protection culturelle. En 1997, l’Accord multilatéral sur les investissements (AMI) permettait aux investisseurs étrangers d’avoir les mêmes droits que les investisseurs nationaux dans tous les secteurs. La France a préféré se retirer des négociations en 1998, suite au refus de reconnaissance de l’exception culturelle. Cette opposition a donné d’ailleurs naissance à la Coalition Française pour la Diversité Culturelle, qui rassemble différentes organisations professionnelles de la culture et dont la mission est de défendre la diversité culturelle. En 2001, l’UNESCO adopte la Déclaration Universelle sur la diversité culturelle qui consacre la capacité des Etats à pouvoir mener des politiques culturelles autonomes. Enfin la même organisation adoptera en 2005, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. La Convention a consacré le principe de diversité culturelle comme une caractéristique inhérente à l’humanité (protocole de la Convention), toutefois ce texte n’a qu’une portée symbolique puisqu’il ne fait naître aucune obligations pour les Etats.
La France considère qu’une œuvre audiovisuelle fait partie du patrimoine culturel et artistique. Elle a d’ailleurs instauré un système d’aide au développement d’œuvre culturelle. Chaque branche de la culture (cinéma, télévision, théâtre etc.) peut bénéficier d’un système de subvention. A titre d’exemple, le Centre national du Cinéma et de l’image animée, participe financièrement à certaines productions cinématographiques et audiovisuelles. Ce financement passe entre autre par une taxe sur les billets de cinéma. Un décret de 1990 pose des quotas en matière cinématographique. Ainsi, les chaînes de télévision doivent investir 3,2% de leur chiffre annuel d’affaire dans des œuvres cinématographiques, audiovisuelle françaises ou européennes. Elles doivent aussi consacrer 60% de leur temps d’antenne à des œuvres européennes et 40% aux œuvres francophones. La loi du 1er Février 1994, entré en vigueur le 1er janvier 1996, (http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000512205&categorieLien=cid) impose des quotas à la radio française. Ainsi, à heure de grande écoute, 40% de la programmation doit être consacrée à des œuvres réalisées ou interprétées par des francophones dont 20% à de nouveaux talents. En 1999, un décret est venu préciser que seules les sociétés dont le siège est en France peuvent bénéficier de cette assistance. Le 13 mai 2013, un rapport sur la politique culturelle à l’ère du contenu digital, le rapport Lescure à proposer des solutions pour le passage de la culture à l’ère digitale notamment pour le cinéma, la télévision ou encore les jeux vidéo. Le rapport a aussi souligné que l’exception culturelle française ne devait être considérée comme une exception défensive et s’applique dans le respect des autres cultures. L’aide financière apportée est avant tout destinée à garantir la diversité des programmes en soutenant le développement culturel. Il s’agit donc davantage d’un accompagnement dans la réalisation de projet que d’une muraille s’élevant entre les œuvres françaises et le reste du monde. Loin d’être l’expression d’un chauvinisme exacerbée, cette exception culturelle française sonne plus comme la garantie d’une grande diversité.
André Malraux disait que la culture apparait d’abord « comme la connaissance de ce qui a fait de l’homme autre chose qu’un accident de l’univers » (A. Malraux, allocution du 30 mai 1952, séance de clôture du congrès). Ces quelques mots rappellent que l’homme sans culture n’est rien, mais l’absence de diversité culturelle sonnerait comme la disparition de l’homme dans toute sa complexité.
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